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Pollution des sols : les héritiers désormais en première ligne

Civil - Bien et patrimoine
Immobilier - Immobilier
20/05/2025

Le Conseil d’État, dans sa décision du 2 mai 2025 (n° 495728), a confirmé une interprétation très étendue de la responsabilité des ayants droit face à la pollution de sites industriels. Ce revirement invite les acquéreurs et héritiers de terrains à redoubler de prudence.

Une héritière jugée responsable malgré le refus de succession

L'affaire concernait un terrain autrefois exploité dans le cadre d’activités classées ICPE. Abandonné puis réaffecté à l’habitation, ce site a révélé une pollution significative en 2023. En l'absence d’exploitant en titre, l’administration a visé une descendante de l’ancien exploitant, pourtant non propriétaire et ayant refusé la succession. Trois arrêtés préfectoraux lui ont imposé un diagnostic des sols et la consignation d’une somme de 107 000 €.

La requérante a contesté sa qualité d’ayant droit, arguant de son absence de lien avec l’exploitation. Le Conseil d’État a rejeté cet argument : le seul fait d’être héritière, sans détention d’un titre de propriété, peut suffire à fonder une mise en cause si l’administration estime qu’elle peut exercer une influence ou tirer un avantage du bien.

Une lecture extensive de la notion d’ayant droit

Le Conseil d’État retient une interprétation finaliste de l’article R. 512-66-2 du Code de l’environnement : l’objectif de remise en état prime sur les considérations strictement civiles. Même un héritier ayant renoncé à la succession peut donc être tenu responsable, si l'autorité administrative démontre qu’il en tire un bénéfice potentiel ou une capacité de contrôle.

Cette logique conduit à écarter plusieurs moyens de défense, dont :

  • l’absence de motivation des arrêtés,
  • le refus de succession,
  • l’argument d’une transmission à une autre société,
  • et la situation financière de la requérante.

Le Conseil d’État réaffirme ici l’impératif de dépollution, au nom de l’intérêt public, au détriment d’une lecture formelle de l’urgence ou de la propriété.

Des précautions essentielles pour les héritiers et acquéreurs

Face à ce durcissement, les professionnels et particuliers doivent intégrer une vigilance renforcée dans toute opération patrimoniale liée à des terrains potentiellement pollués :

  • Analyser l’historique industriel du site via les bases BASOL ou ICPE et consulter les archives locales.
  • Insérer des clauses de garantie environnementale dans les actes notariés (clause d’éviction, condition suspensive liée à l’absence d’arrêté préfectoral).
  • Consulter un avocat avant toute acceptation de succession ou d’acquisition.
  • Solliciter le Fonds pour la réhabilitation des sites pollués (FRSP) si aucun responsable solvable ne peut être identifié.

Cette jurisprudence marque une évolution stricte et structurante du contentieux environnemental. Elle alerte sur le fait que les obligations de dépollution peuvent désormais frapper des héritiers ou acquéreurs sans lien d’exploitation direct. Le droit de l’environnement prend ainsi une tournure plus contraignante, où le devoir de remise en état prime sur les droits civils traditionnels. Une raison supplémentaire d’exiger un accompagnement juridique systématique dans toute opération immobilière sur terrain anciennement industriel.